L’exploration au moyen de la voix de la grotte de Niaux (Ariège)
Nous nous sommes engagés dans l'exploration de la grotte de Niaux en utilisant la voix comme outil d’étude acoustique. Nous avons voulu tester en conditions réelles la corrélation entre les lieux ornés et leur acoustique qu’avaient établie les scientifiques, et ce, en nous inspirant principalement des recherches menées par Iégor Reznikoff et Michel Dauvois[1]. Nous avons alors observé deux phénomènes étonnants provoqués par la réponse de la grotte au chant diphonique. Ces phénomènes, que nous avons également remarqués, ont été décrits par Reznikoff lors du congrès de l’IFRAO[2] en septembre 2010 :
La corrélation établie entre les qualités acoustiques et les emplacements des peintures montre que celles-ci peuvent être aussi comprises comme l’expression visible de signes sonores invisibles. D’autre part, certains signes, en particulier les points d’ocre rouge, apparaissent de façon statistiquement quasi certaine comme des repères sonores. On peut distinguer deux usages du son dans les grottes :
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un usage fonctionnel, p. ex. celui nécessaire pour progresser dans la quasi-obscurité et marqué des points rouges;
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un usage musical, et sans doute rituel, marqué par les images importantes ou les panneaux d’images et de signes.[3]
À la différence de Reznikoff – pour qui il n’y a pas de sociétés sans chant ni de rituel ou célébration qui ne soit chantés, pour qui les tribus du Paléolithique chantaient, pour qui la musique et la dimension sonore des grottes ornées furent l’objet de formidables recherches sur les correspondances entre les lieux de résonnances et les lieux de peintures –, nous avons tenté d’établir de telles correspondances en recherchant quel type de chant les Magdaléniens de Niaux auraient pu pratiquer et s’il y avait un moyen de lier ce chant à leur art pariétal.
L'impact du chant diphonique sur l’écoute dans le monde souterrain des grottes est difficile à décrire puisqu’il relève de l’expérience et du sensible. Ce chant serait, pour faire image, assimilable à celui des sirènes évoqué par la littérature et le cinéma. Il est enveloppant, réconfortant, hypnotisant, apaisant, aigu sans être strident, et sa source est aisée à localiser. Il donne l’impression de faire surgir de la pierre une étonnante résonance, comme si les parois étaient transformées en organismes sonores, voire vivants. Cette perception a été décrite par Linda Eneix[4], alors qu’elle tentait de faire état des caractéristiques sonores des monuments anciens et préhistoriques, comme le Standing Wave produit par le chant d’une voix basse. Celui-ci aurait un effet sur l’esprit et la pensée, faisant ainsi basculer l’information sonore de l’hémisphère gauche à l’hémisphère droit qui lui gère les émotions et stimule la créativité[5]. Pour Linda Eneix, un chaman qui saurait se servir de sa voix disposerait d'un incroyable outil de magicien avec lequel jouer et émerveiller.
Extrait d'un chant diphonique enregistré en studio:
[1] Michel DAUVOIS et Xavier BOUTHILLON (1994). « Caractérisation acoustique des grottes ornées paléolithiques et de leurs lithophones naturels », La pluridisciplinarité en archéologie musicale, IVe rencontre internationale d’archéologie musicale de l’ICTM, Saint-Germain-en-Laye, C. Homo-Lechner et al. eds, Paris, 1990, p. 209-251;
Iégor REZNIKOFF (2010). « L’existence de signes sonores et leurs significations », Congrès de l’IFRAO, septembre 2010 – Symposium : signes, symboles, mythes et idéologie… (Pré-Actes);
Iégor REZNIKOFF (2006). « The Evidence of the Use of Sound Resonance from Paleolithic to Medieval Times », Archaeoacoustics, Cambridge, University of Cambridge, C. Scarre & G. Lawson ed., p. 77-84;
Iégor REZNIKOFF et Michel DAUVOIS (1988). « La dimension sonore des grottes ornées », Bulletin de la Société préhistorique française, 85/8, Paris, p. 238-246;
Iégor REZNIKOFF (2010). « La dimension sonore des grottes préhistoriques à peintures », 10e Congrès Français d’Acoustique, Lyon, Université de Paris-Ouest, 12-16 avril 2010.
[2] International Federation of Rock Art Organisations (IFRAO).
[3] Iégor REZNIKOFF (2010). « L’existence de signes sonores et leurs significations », dans Jean Clottes (dir.), L’art pléistocène dans le monde/Arte pleistoceno en el mondo, Tarascon-sur-Ariège, Congrès de l’IFRAO, septembre 2010 – Symposium : Signes, mythes et idéologie… (Pré-Actes), Société préhistorique de l’Ariège, p. 65-66.
[4] Linda Eneix étudie la culture des temples préhistoriques de Malto et de Gozo depuis 1990. Ces recherches en archéoacoustique combinent l’architecture et les nouvelles perspectives d’interprétation de leur fonction originale.
[5] Linda ENEIX (2012). « The Ancient Architects of Sound », Popular Archaeology Magazine, vol. 6, mars 2012, [En ligne], http://popular-archaeology.com/issue/march-2012/article/the-ancient-architects-of-sound
(page consultée le 4 août 2013).